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La charge de la preuve en contentieux fiscal

 

Droit de la preuve en contentieux fiscal - Extrait d'une intervention au colloque des 15 et 16 novembre 2013 (Université d'Aix en Provence) :

 

"S'il est bien une question quelque peu irritante en droit fiscal, c'est sans doute celle relative à la charge de la preuve.

 

Irritante, parce que la jurisprudence a donné l'impression, cette dernière décennie notamment, d'hésiter et de procéder parfois, dans certaines hypothèses, par des mouvements de balancier (1). Dans d'autres hypothèses, on a vu telle décision, pourtant un moment présentée comme décisive, passer un temps au second plan, voire ses contours disparaître dans une étrange pénombre, avant qu'elle ressurgisse comme si de rien n'était un beau jour (2). Par ailleurs, la réforme de 1987 et le nouveau rôle de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'ont pas non plus simplifié les choses, d'autant que l'imagination du contribuable étant, comme chacun sait, sans bornes, le juge se trouve parfois (souvent !) confronté à des espèces particulièrement délicates, ou en tout cas inédites (3). Et l'on pourrait certes donner encore bien d'autres exemples…

 

Irritante également, cette question, parce que le raisonnement à suivre paraît encore, dans certains cas, en dépit pourtant d'une abondante jurisprudence, délicat, voire quelque peu obscur. Nous avons ainsi cité à l'instant la décision Sylvain Joyeux parce que celle-ci est emblématique de l'attitude à adopter par l’administration en matière de déductibilité de charges ou, de manière plus générale, en matière de prise en compte d'une écriture de passif, mais il serait dommage de ne pas faire référence, à l'occasion de ce tableau rapidement brossé, à la problématique plus générale de l'acte anormal de gestion, qui sème encore parfois le trouble chez les observateurs, ou encore à l'articulation entre les procédures diligentées à l'égard des sociétés de capitaux et celles diligentées à l'égard de leurs associés. À titre d'exemple, sur ce dernier point, on aura ainsi du mal à trouver une décision qui réponde nettement et explicitement à la question – en matière de charge de la preuve – de l'opposabilité à l'associé du rejet de la comptabilité de la société et de la reconstitution des recettes de cette dernière, ainsi que du régime de preuve qui s'ensuit lorsque l'Administration a suivi l'avis de la commission départementale des impôts (4)…

 

Il ne faut pas s'étonner, dans ces conditions, de développements importants en doctrine, relatifs par exemple à la conciliation du critère légal de la preuve avec celui tiré de la procédure d'imposition. La fameuse décision Renfort Service (5), continue ainsi de faire couler de l'encre, compte tenu de sa formulation, que l'on peut rappeler ici : « Si la détermination du fardeau de la preuve est, pour l'ensemble des contribuables soumis à l'impôt, tributaire de la procédure d'imposition suivie à leur égard, elle n'en découle, pas moins, à titre principal, dans le cas des personnes assujetties à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des entreprises assujetties à l'impôt sur les sociétés, de la nature des opérations comptables auxquelles ont donné lieu les actes de gestion dont l'Administration conteste le caractère ». Un commentateur autorisé ne relevait-il pas à ce propos « que s'il faut reconnaître à cet arrêt de grands mérites, il faut bien admettre cependant que les critères d'attribution de la preuve qu'il emploie ne sont pas très éclairants » (6) ?

 

Bref, en dépit d'une abondante production jurisprudentielle et doctrinale, le sujet demeure manifestement d'actualité. Sans doute, finalement, d'abord parce que l'on connaît le caractère décisif de l'attribution de la preuve pour l'issue de bien des litiges, ce qui ajoute évidemment au caractère lancinant des incertitudes que je viens d'évoquer, ensuite parce que cette question est évidemment au cœur de la problématique plus générale des garanties du contribuable et de sa protection à l'égard de l'impôt.

 

L'intégralité de cette intervention (A. Bonnet) est publiée à la Revue de droit fiscal du 5 décembre 2013, c. 535. A paraître également dans les Actes du colloque (en cours d'impression).

 

 

(1) On pense en particulier au dialogue en chien de faïence qui a finalement abouti à la remise en cause partielle de la décision Éts Lebreton (CE, sect., 20 juin 2003, n° 232832, Sté Éts Lebreton – Comptoir général de peinture : JurisData n° 2003-080371 ; Rec. CE 2003, p. 273 ; Dr. fisc. 2004, n° 5, comm. 200, concl. P. Collin ; Procédures 2003, comm. 230, note J.-L. Pierre ; RJF 10/2003, n° 1140, concl. P. Collin, p. 754 ; BGFE 2003, n° 3, obs. N. Chahid-Nouraï, p. 24 ; Rev. adm. 2004, obs. O. Fouquet, p. 272) par la décision Sylvain Joyeux (CE, 3e et 8e ss-sect., 21 mai 2007, n° 284719, Sté Sylvain Joyeux : JurisData n° 2007-081126 ; Rec. CE 2007, p. 212 ; Dr. fisc. 2007, n° 46, comm. 970, concl. E. Glaser, note Ch. de la Mardière ; RJF 8-9/2007, n° 953, chron. O. Fouquet, p. 631 ; BDCF 8-9/2007, n° 102, concl. E. Glaser ; BGFE 2007, n° 4, obs. N. Chahid-Nouraï, p. 3).

 

(2) Je pense cette fois à la jurisprudence, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, dite Diva, V. CE, 9e et 8e ss-sect., 18 sept. 1998, n° 149341, SARL Diva : JurisData n° 1998-047788 ; Dr. fisc. 1999, n° 5, comm. 74 et 85, concl. G. Goulard ; RJF 11/1998, n° 1330, concl. G. Goulard, p. 844 ; BGFE 1998 n° 6, obs. J. Turot, p. 16.

 

(3) On peut évoquer ici une affaire venue devant le tribunal administratif de Marseille, qui a conduit ce dernier à prendre position sur les conséquences, au regard de la charge de la preuve, d'un désistement de dernière minute du contribuable devant la commission, sur certains points du litige seulement, mais notamment sur le rejet de la comptabilité elle-même et la reconstitution, avec à la clé la constatation que la preuve demeurait à la charge de l'Administration alors même que cette dernière avait suivi l'avis de la commission qui s'était prononcée sans prendre en compte ce désistement partiel, V. TA Marseille, 30 sept. 2010, n° 0901564, Sté SONEVI.

 

(4) V. seulement pour une solution négative, CE, 8e et 9e ss-sect., 3 mars 1986, n° 32751, M. Delattre : JurisData n° 1986-608021 ; Dr. fisc. 1986, n° 27, comm. 1295, concl. Ph. Martin.

 

(5) CE, plén., 27 juill. 1984, n° 34588, SA Renfort Service : JurisData n° 1984-601181 ; Rec. CE 1984, p. 292 ; Dr. fisc. 1985, n° 11, comm. 596, concl. P.-F. Racine ; RJF 10/1984, n° 1233, concl. P.-F. Racine, p. 562 ; GAJF, 5e éd., n° 52, p. 854, complétée par CE, 27 juill. 1988, n° 50020, Sté Boutique 2M : JurisData n° 1988-600685 ; Dr. fisc. 1988, n° 49, comm. 2202 ; RJF 1988, n° 1139, concl. O. Fouquet.

 

(6) Ch. de la Mardière, La preuve en droit fiscal : Litec, 2009, n° 336, p. 123.

 

 

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